Les informations tardives de la presse

A l’exemple des expériences passées – automobile, amiante, aspartame, avion, ogm, nanotechnologie… – dont les conséquences auraient dû être tirées, la presse « découvre » à présent que l’innocuité du gsm n’existe pas ((différents quotidiens reprenaient ces derniers jours l’affaire de cet Italien atteint d’une tumeur et dont la justice a reconnu la cause avérée: le gsm)). Évacué aussi rapidement qu’il aura apparu, jouant ce rôle de « scoop » dont on sait qu’il a pour fonction d’attirer plus aisément les lecteurs – produits – vers les annonceurs – acheteurs de ces produits par l’intermédiaire de la presse – ((voir « Le Metro n’est pas gratuit. Les coûts sociaux de la presse gratuite http://www.espritcritique.be/?p=834)), évacué donc, le fait n’en est pas moins intéressant car il révèle le fonctionnement d’un mécanisme toujours identique.

La recherche technologique, au service du profit dont une minorité tirera la plus grande part, fait une nouvelle découverte, au départ dans un certain secret. Souvent produit de recherches militaires ou universitaires subsidiées publiquement, l’objet ne se généralise pas directement, suivant dans un premier temps cette phase de préparation qui le destine à devenir un objet de consommation. A l’origine, le besoin n’existant pas chez le sujet, la société de consommation déploie ses stratagèmes pour le susciter. Rendant dans un premier temps l’objet attrayant par son prix élevé et le fait qu’il ne soit acheté que par les représentants d’une classe que Thorstein Veblen appelait « la classe de loisir », l’individu lambda, par imitation, et pour s’approcher des valeurs de la classe qui lui est supérieure, désire l’objet qu’il ne peut jusqu’à présent se payer.

Le processus réussi, l’industrie n’a plus réellement besoin d’exercer sur nous la pression de la nécessité, assurée d’avoir maintenant avec elle de fervents défenseurs des produits qu’elle a elle-même créés. Bien sûr, elle devra continuer à diffuser la publicité génératrice de cette émulation consumériste indispensable à la pratique de l’obsolescence programmée qu’elle organise, et qui veut que les objets dont la technique vantait il y a peu les vertus uniques soient démodés… pour laisser place aux nouveaux qui doivent être vendus ((Voir à ce sujet : Bon pour la casse. Les déraisons de l’obsolescence programmée, Latouche Serge, Les Liens qui Libèrent, 2012)). Comme le disait parfaitement Debord à ce sujet: « Chaque nouveau mensonge de la publicité est aussi l’aveu de son mensonge précédent » (Guy Debord, La société du spectacle, Éditions Gallimard, Paris, 1992, p.65. Souligné par l’auteur)).

Pour arriver là, c’est-à-dire au fond parvenir à fétichiser un objet, à créer l’indispensabilité au point de produire la dépendance (« comment pouvez-vous vivre sans micro-onde», « je ne pourrais me passer de mon gsm », « on ne vit qu’une fois, je ne pourrais pas me priver de l’avion »), de générer le sentiment de manque et de privation, et donc, dans une société à visibilité maximum, la frustration, pour parvenir là, il faut, en toute évidence, démarrer par une négation complète des risques encourus.

L’étonnement de la presse et des politiques face au risque sanitaire du gsm est donc un vaste mensonge et témoigne des troubles de la mémoire à court terme de ces derniers: ils ont, à des degrés divers, accepté ou encouragé, ne légiférant aucunement ou ouvrant leur page et leur émission à la publicité du produit dont maintenant ils feignent de découvrir les risques .

C’est ainsi. Il ne faudra plus feindre l’indignation. Ces faux semblant font d’ailleurs partie du jeu : l’industrie dénonce ce qu’elle a elle-même construit, l’évidence – du danger – devenant un moment trop importante, mais l’addiction créée assez forte pour que l’information ne modifie en rien l’usage : la conscientisation est bien peu face à la dépendance et l’habitude… un héroïnoman sait les substances qu’il prend nocives. La presse « dénonce » donc quand elle peut. Avant cela, si l’information filtre, elle étouffe… de façons simples: elle n’en parle pas ou laisse la voix aux orthodoxes!

Et pendant qu’elle pousse ses cris d’orfraie, les autres futurs « scandales » se préparent. Ceux qui, une fois à la une , et pour lesquels on aurait pourtant dû, antérieurement, appliquer le principe de précaution, sont la formidable expression d’un système merveilleusement bien rôdé.

A.P

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