Quelques points communs entre Parti du Travail de Belgique et capitalisme…

Arpenter les cercles idéologiques du Parti du Travail de Belgique ((Et d’autres naturellement, auxquelles certaines analyses de cet article s’appliquent aussi. Nous portons pourtant notre regard sur ceux qu’on pourrait croire « hors-système », mais qui au fond ne le sont que d’apparence)) révèle la représentation d’un monde comme édifié en deux entités humaines opposées : les travailleurs et les capitalistes, comme groupes génériques, dont les seconds tirent leur pouvoir de l’exploitation de la force de travail des premiers. Interprétation marxiste, des plus pertinentes, l’analyse du PTB dévoile cette dichotomie à raison tout en laissant l’impression que le sujet, en tant qu’entité pris dans un système dont il fait malgré lui partie, y est absent . En ressort une forme caricaturale de la réalité sociale, où il y aurait les victimes et les coupables, ce qui d’une certaine manière répond à une forme de vérité, mais se révèle vite tout à fait réducteur, et, au fond, porte en lui-même les germes de l’échec programmé d’un changement social que dit vouloir ce mouvement :

« Qu’est ce que l’autonomie collective ? Mais quel est son contraire ? Le contraire, c’est la société hétéronome. Quelles sont les racines de la société hétéronome ? Ici nous affrontons ce qui a été, je crois, une idée centrale et fallacieuse de la plupart des mouvements politiques de gauche, et d’abord et surtout du marxisme. L’hétéronomie a été confondue, c’est-à-dire identifiée, avec la domination et l’exploitation par une couche sociale particulière. Mais la domination et l’exploitation par une couche sociale particulière n’est qu’une des manifestations (ou réalisations) de l’hétéronomie. L’essence de l’hétéronomie est plus que cela. On trouve l’hétéronomie dans des sociétés primitives, en fait dans toutes les sociétés primitives, alors qu’on ne peut pas vraiment parler d’une division entre couches dominantes et couches dominées dans ce type de société. Donc, qu’est ce que l’hétéronomie dans une société primitive ? C’est que les gens croient fermement (et ne peuvent que croire) que la loi, les institutions de leur société leur ont été données une fois pour toutes par quelqu’un d’autre – les esprits, les ancêtres, les dieux ou n’importe quoi d’autre ((Castoriadis, C., « Psychanalyse et société », in Freud, le sujet social, sous la direction de A. Le Guen, G. Pragier, I. Reiss-Schimmel, Paris, PUF, 2002, pp. 12-13)). »

Au-delà de l’élément majeur qui distingue le communisme du capitalisme, à savoir l’appropriation collective ou privée des moyens de production, il persiste dans les deux systèmes un accord tacite sur certains traits dominants des sociétés modernes, dont se nourrit grandement le capitalisme néo-libéral : productivisme, idéologie du progrès, omnipotence de certains types de déplacements, place du travail pour l’homme et la société, domination de la nature… Une même idéologie transcende ainsi ces deux modes d’organisation sociale.

Dans cette conceptualisation d’une société dichotomisée, les crises sont des opportunités pour le PTB, car chacune contient en elle un potentiel d’accroissement de son électorat. La monotonie d’une vie quotidienne d’un travailleur, se levant chaque jour pour se rendre, pressé, au travail ; fuyant le non sens de cette société, où travailler pour un revenu occupe la majeure partie du temps, dans des éloignements rendus possibles par des vols ‘low costs’ et des bagnoles se faisant nécessairement au détriment de la nature et d’un Autre… cette réalité-là, objet d’un accord tacite, reflet de multiples abnégations, n’est pas interrogée. Parce qu’elle est consensuelle, se rapporte à la résonance qu’ont les structures objectives capitalistes de la société sur les structures subjectives de personnalité, et que cette remise en question représente un risque de perte d’un électorat déjà faible.

Les réformes proposées par le PTB, porteuses de justice sociale, sont dès lors, pour l’individu conscient des rapports de production, faciles à adopter : leur mise en application n’aurait que des effets bénéfiques pour celui-ci puisqu’il récolterait maintenant et de manière plus importante une partie de la richesse produite, désormais répartie plus équitablement :

« Il serait relativement facile d’être à gauche s’il suffisait de vouloir changer les structures objectives externes. C’est la démarche la plus fréquente chez ceux qui se disent « de gauche ». Il est évidemment beaucoup plus difficile de l’être quand il s’agit d’admettre qu’il faut aussi clarifier et changer la part de soi-même qui est asservie au système ((Accardo, A., Le petit-bourgeois gentilhomme, Editions Agone, Marseille, 2009, p. 142)). »

Il s’agit là d’un simple constat, les plus pauvres et la classe moyenne des pays riches tireront bénéfice des changements prônés par le PTB. La production demeurerait toutefois identique, suivant la courbe croissante du capitalisme ; la différence porterait « juste » sur la répartition. Au-delà de l’anticapitalisme affiché du parti, celui-ci s’aligne servilement sur l’une des caractéristiques majeures du modèle qu’il défend, à savoir le productivisme. Il reste ainsi embourbé dans une contradiction avec laquelle il refuse toute confrontation : 86% des ressources de la planète sont utilisées par 20% de ceux qui la peuplent. Malgré la bonne volonté d’aider les pays du Sud, le PTB adopte une vision parcellisée où il réduit les changements nécessaires aux 20% – parmi lesquels les gains doivent être répartis de manière moins inique ((La devise du PTB serait dès lors non pas « les gens d’abord, pas le profit », mais bien plutôt « d’abord le profit, mais pour tous les gens »)).

Analyse inconséquente qui élude l’interdépendance mondiale, le productivisme reposant sur une soif inextinguible du profit qui se nourrit de l’exploitation de l’homme et de la nature :

« Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de la productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du Nord de l’Amérique par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du processus de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ((Marx, K., Le Capital, cité dans A. Gorz, « Ecologica », Editions Galilée, Paris, 2008, pp. 138-139, souligné par l’auteur)). »

Dialectique Nord/Sud

Les salaires ont pu stagner en Occident au bénéfice du capital parce qu’ils ont été compensés par le recours massif à l’endettement des ménages, mais aussi parce que les prix ont été maintenus bas par l’exploitation de la force de travail au Sud. « Notre » régime de vie occidental dépend d’une majorité non occidentale exploitée, au même titre que dans ce premier groupe le régime de vie des nantis se construit sur l’exploitation du reste. Sans cette dialectique, point de compréhension; les cercles concentriques de l’exploitation s’interpénètrent, les groupes qui les constituent pouvant être à la fois dans une situation d’« exploiteurs » ou d’« exploités » en fonction de leur position collective relative ((c’est-à-dire que la catégorisation « occident » renvoie à des  notions de richesse et d’exploitation en regard d’un « non-Occident», mais que chacune de ces deux catégories peut elle-même être subdivisée en plusieurs groupes. L’« Occident» comprend ainsi des classes nantie et indigente, qui dans ce contexte de comparaison intra-occidental, dévoilent une nouvelle configuration exploiteur/exploité et richesse/pauvreté. Voir sur le sujet un article d’un grand intérêt, Staerklé, Ch., L’idéal démocratique perverti :représentations antagonistes dans la mise en altérité du non-occident in Sanchez-Mazas, M., Licata, L., « L’autre : regards psychosociaux », Presses universitaires de Grenoble, 2005)).

« Il n’y a rien d’étonnant à ce que les libres-échangistes soient incapables de comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens d’un autre, si ces mêmes messieurs ne veulent pas comprendre non plus comment, à l’intérieur d’un pays, une classe peut s’enrichir au détriment d’une autre ((Marx, K., Discours sur le libre-échange, in Misère de la Philosophie, Moscou, s.d. cité dans Galeano, Eduardo, Les veines ouvertes de l’Amérique Latine, Terre Humaine, 1971, p.249)). »

Et les « libres-échangistes » sont parfois là où on ne les attend pas… Le passage à un régime socialiste pour les 20% n’impliquant pas une diminution de la production mondiale, il y aura toujours un perdant dont l’Occident tirera une plus-value. Le Sud en l’occurrence, dont le PTB voit une issue prospère dans la réduction du « fossé entre les pays industrialisés (« le Nord ») et les pays du tiers monde (« le Sud ») ». Même si le parti reconnaît que l’état du Sud s’inscrit dans des siècles de rapports inégaux et qu’augmenter l’aide au développement ne suffira pas, il reste ancré dans une logique développementiste et sa définition. Or, « le plus grave est que cette définition conduit immédiatement à une faute essentielle : on assimile les pays « sous-développés » aux pays « développés » considérés à un stade antérieur de leur développement. C’est-à-dire que l’on « fait abstraction » de l’essentiel : que les pays « sous-développés » font partie d’un système mondial, qu’ils ont une histoire, celle de leur intégration à ce système, qui a forgé leur structure particulière, qui n’a plus rien à voir avec celle des époques antérieures à leur intégration au monde moderne ((Amin, S., L’accumulation à l’échelle mondiale, critique de la théorie du sous-développement, Editions Anthropos, Paris, 1970, p. 17)). » Leur vœu de grand rattrapage – cher aux autres formations politiques et au monde de la finance – contredit et annihile les possibilités salvatrices : le « fossé » doit être résorbé, mais c’est dans notre « richesse » que réside la pauvreté du Sud ; notre richesse s’est nourrie du fossé et l’a alimenté, elle n’aurait pu avoir lieu sans la spoliation occidentale. Reconnaître l’iniquité séculaire des rapports Nord/Sud tout en souhaitant à ce dernier de rejoindre le Nord est dès lors totalement antinomique… et donc, au mieux, une erreur d’appréciation, au pire un subterfuge ((Outre, et non pas un point mineur, que le développement a des résonances sur la structure de classe interne aux sociétés occidentales et assure le maintien du statu quo, voir notre étude : « mondialisation capitaliste et dichotomie Nord/Sud : l’idéologie du développement comme déterminant de l’immobilisme social et individuel »)).

Des voies possibles, que n’explore nullement le PTB, passent par la fin de l’idéologie associée à la richesse bourgeoise ainsi qu’une diminution de la productivité mondiale. Il ne s’attaque pas à la première car elle est le fondement de nos sociétés capitalistes, inscrite au cœur du système mais aussi puissamment enfouie dans l’esprit de l’homme. Car ce dernier, évoluant dans une société capitaliste néo-libérale, qu’il le veuille ou non, est, à divers degrés, un homme capitaliste. Le capitalisme est inscrit dans nos structures de personnalité ; le sujet s’est adapté, antérieurement à sa capacité de penser, au système qui l’a façonné. Dans cette construction dont il a été l’objet, posant son regard sur lui-même, l’homme admet parfois que les structures objectives de l’organisation sociale (rapports de classe, distribution des différents  capitaux…) façonnent sa personnalité ; cette reconnaissance, qu’alimente et dévoile le PTB, n’est dès lors pas bouleversement pour celui-ci. « La difficulté commence en pratique lorsqu’un groupe ou un individu doit s’appliquer à lui-même ce principe explicatif et examiner dans quelle mesure il est le jouet du jeu social qu’il croit jouer librement ((Accardo, A., Le petit-bourgeois gentilhomme, op. cit., p. 58)). » Cette réflexion est rendue d’autant plus difficile pour l’homme atomisé employé à une profession la majeure partie du temps, comme l’évoque Adam Smith, dans des propos peu vulgarisés de l’économiste:

« L’intelligence de la majorité des hommes est forcément marquée par leur travail de tous les jours » (…) « L’homme dont la vie se passe à exécuter quelques opérations simples, avec des effets qui sont peut-être toujours les mêmes, ou presque les mêmes, n’a pas l’occasion d’exercer son intelligence (…) et il devient généralement aussi stupide et ignorant qu’il est possible de l’être pour une créature humaine ((Cité dans N. Chomsky, L’an 501, la conquête continue, Editions de l’Herne, Paris, 2006, p.27)). »

La prise de conscience de nos propres attitudes et habitudes capitalistes impliquerait donc de se libérer d’un travail aliénant. Le parti du travail de Belgique tient la promesse contenue dans son nom : « touche pas à mon job »  , qu’on soit ouvrier à la chaîne chez Volkswagen, « technicien de surface » dans une société de nettoyage, métallo chez Arcelor ou caissière chez Carrefour. Défense d’un travail dont on n’interroge plus le sens, car l’individu lui-même se dispense de cette tâche. Il est une institution perçue comme naturelle dont le dépassement impliquerait qu’il soit considéré comme idéologie sociale. En l’absence, déprédations sociales et de la nature continueront, de ce fait « les travailleurs et leurs organisations, c’est-à-dire le « travail marchandise », ne sont co-responsables de ce pillage et de cette destruction que dans la mesure où ils défendent l’emploi à tout prix dans le contexte existant et combattent dans ce but tout ce qui diminue dans l’immédiat la croissance économique et la rentabilité financière des investissements ((Gorz, A., Ecologica, op. cit., p. 138)). » L’institution travail est donc une de celles qui a puissamment concouru à « organiser l’inconscience ((Accardo, A., Le petit-bourgeois gentilhomme, op. cit., p. 54)). » Antinomie encore donc, celle d’encourager ce qui conduit à ce que l’on veut combattre.

« A qui le tour, la cagnotte de la loterie »?

Mais c’est aussi que l’homme laborieux a tenté de soulager la souffrance et le non-sens de son travail dans un consumérisme frénétique, recherché par les détenteurs mêmes du capital. Ceux qui dès 1920 aux Etats-Unis, 1948 en Europe, cherchent à agrandir le marché pour assurer l’écoulement de la surproduction : créer le surperflu ! voilà la solution qu’ils préconisèrent. La publicité leur donnera l’arme suprême pour coloniser les esprits, leur faire désirer l’inutile : « le capitalisme a besoin de produire un nouveau type de consommateur, un nouveau type d’individu : l’individu qui, par ses consommations, par ses achats, veut s’affranchir de la norme commune, se distinguer des autres et s’affirmer « hors du commun ((Gorz, A., op. cit., p.136)). »… premier pas vers une déconstruction de la conscience de classe des travailleurs. Classes ouvrière, moyenne et nantie ne sont donc pas hermétiques mais traversées par des valeurs communes : à qui le tour, la cagnotte de la loterie ? « Une complicité structurelle lie le travailleur et le capital : pour l’un et pour l’autre, le but déterminant est de « gagner de l’argent», le plus d’argent possible ((Ibid., p. 115)). » Le soumis fonde alors sa recherche sur ce qu’il devrait combattre : la richesse. Il rêve d’« installer une piscine dans son jardin », du « dernier réflexe numérique de chez Canon », d’une plus grande bagnole que la « Clio 3 portes »… ((Ces exemples sont tirés du blog d’un candidat premier suppléant sur la liste du PTB+ lors des élections de juin 2010. L’histoire est édifiante et illustre parfaitement nos propos. Voir http://leblogdebenj.over-blog.org/article-10318508-6.html#comment10754084))

Exit le questionnement sur l’impossibilité de généraliser la piscine individuelle, l’obsolescence programmée de divers objets, la ruine sociale et environnementale que représente la bagnole ((On en arrive alors à des critiques faussement révolutionnaires, et totalement ineptes, à l’instar de celle portant sur les assurances auto, voir http://www.ptb.be/nieuws/artikel/carte-blanche-quelque-chose-de-pourri-au-royaume-des-assurances.html)) : son rapport intrinsèque au travail et au capital, sa destruction des capacités d’imaginer d’autres possibles (( voir «Votre cerveau se vide à vue d’oeil»)), l’hétéronomie qu’elle engendre ((Voir http://www.les-renseignements-genereux.org/var/fichiers/f7__bagnole.pdf, sans voir ce que la bagnole comporte de conformisme et d’acceptation, et parasite les autres sphères de la pensée)).

De là, nous risquons-nous à énoncer que le PTB n’est pas anticapitaliste sur tous les niveaux, puisque ne questionnant qu’un aspect de la réalité de l’exploitation :

« Le mouvement ouvrier et le syndicalisme ne sont anticapitalistes que pour autant qu’ils mettent en question non seulement le niveau des salaires et les conditions de travail, mais les finalités de la production, la forme marchandise du travail qui la réalise ((Gorz, A., Ecologica, op. cit., pp. 133-134)). »

Sans appréhension du cercle vicieux travail-surproduction-surconsommation- …on ne désamorcera pas l’émulation, la prodigalité ostensible ((Veblen, T., Théorie de la classe de loisir, Editions Gallimard, 1970)), la mise en distinction inter-individuelle permanente. Un partage plus équitable ne suffira pas, loin de là. Distribuerons-nous mieux les revenus de la publicité entre le patron de l’agence et les employés que la fonction n’en conservera pas moins sa nocivité intrinsèque. Mais la publicité serait d’une innocuité absolue pour le corps social selon la logique pétébienne, puisqu’elle créerait de l’activité économique, donc de la production, donc de l’emploi…

Le refus du dogme de la consommation de masse, aboutissement de la société occidentale, ne répond qu’à la critique historique du développement. Le PTB s’aligne lui, au contraire, sur l’analyse de Rostow, à savoir l’ère de la consommation de masse comme aboutissement ultime et bénéfique ((Rostow, W., Les étapes de la croissance économique, Editions du Seuil, 1963)) …

Pour sortir réellement du capitalisme

Voix sans issue alors ? Ou avec un « capitalisme socialisé »… Quoi qu’il en soit, la dichotomie travail/capital que défend le PTB prive l’intellect de la perception des échanges et points communs qui les traversent. Et donne à voir une analyse du pouvoir faussée car elle ne situerait son origine que dans le second. Nous décryptons le pouvoir d’une tout autre manière :

« Il faut en somme admettre que ce pouvoir s’exerce plutôt qu’il ne se possède, qu’il n’est pas le « privilège » acquis ou conservé de la classe dominante mais l’effet d’ensemble de ses positions stratégiques – effet que manifeste et parfois reconduit la position de ceux qui sont dominés. Ce pouvoir d’autre part ne s’applique pas purement et simplement, comme une obligation ou une interdiction, à ceux qui « ne l’ont pas » ; il les investit, passe par eux et à travers eux ; il prend appui sur eux, tout comme eux-mêmes, dans leur lutte contre lui, prennent appui à leur tour sur les prises qu’il exerce sur eux ((Foucault, M., Surveiller et punir, Editions Gallimard, 1975, p.35)). »

La libération des consciences individuelles, le dépassement de ce que l’on nomme la « fausse conscience », passe par cette compréhension du caractère diffus du pouvoir, auquel nous participons tous plus ou moins, sans pour autant faire partie de la classe dominante.

Pour les raisons expliquées, le Parti du travail de Belgique ne provoquera par l’introspection individuelle nécessaire au changement, il se cantonnera dans un manichéisme plus confortable, éludant cette réalité que « l’arme la plus puissante de l’oppresseur se trouve dans l’esprit de l’opprimé ((Phrase prononcée par Steve Biko, un des plus grands martyres de la cause anti-apartheid, dans N. Chomsky. De la propagande, Editions Arthème Fayard, 2002)). » Au prix donc de ne pas questionner notre « fausse conscience », le « conditionnement idéologique du prolétariat », le fétichisme de la marchandise : «Le nœud du pouvoir doit {donc} être recherché au sein de la société civile – surtout dans le contrôle capitaliste des moyens d’information (presse, radio, télévision, cinéma, édition), basé sur le contrôle des moyens de production (propriété privée). Selon une thèse plus subtile l’inculcation réelle de l’acceptation volontaire du capitalisme ne se fait pas tant par l’endoctrinement idéologique grâce aux moyens d’information que par la diffusion invisible du fétichisme de la marchandise par le biais du marché, ou, par les habitudes de soumission inculquées par les routines de travail dans les usines et les bureaux – en d’autres termes, directement dans le champ d’action des moyens de production eux-mêmes. Cependant, que l’accent soit mis sur les effets de l’appareil culturel ou de l’appareil économique, la conclusion de l’analyse est la même. On pense que c’est le nœud stratégique de la société civile qui maintient l’hégémonie capitaliste dans une démocratie politique dont les institutions étatiques n’excluent pas ou ne répriment pas directement les masses. Le système est maintenu par le consentement, non par la coercition. D’où il ressort que la tâche principale des militants socialistes n’est pas de combattre un Etat armé, mais de convertir idéologiquement la classe ouvrière pour la libérer de sa soumission aux mystifications capitalistes ((Anderson, P., Sur Gramsci, Edition François Maspero, Paris, 1978, pp. 44-45, souligné par nous)). »

Mais dans une conceptualisation manichéenne, le sujet et la conscience n’ont pas leur place. Pour les thuriféraires de cette option idéologique, parler de la responsabilité individuelle est un pêché digne d’appartenance au parti écologiste. Dans cette antinomie construite, agir individuellement s’assimile souvent à de l’individualisme. Pourtant, si savoir par exemple que la sensibilisation aux petits actes privés écologistes peut être  une ruse pour amener le citoyen à croire que tout change pendant qu’on continue à faire à l’identique, adopter ces mesures individuelles n’assimile pas automatiquement le sujet à ceux qui organisent le spectacle ; ce sophisme menant à un fourvoiement majeur: combattre les structures est contradictoire avec l’action sur nos consciences propres.

« La méconnaissance, ou l’oubli, de la double dimension du social, à la fois et inséparablement collectif et individuel, objectif et incorporé, ne peut qu’entraîner la persistance de regrettables erreurs telles que l’erreur objectiviste, qui grève lourdement le combat anticapitaliste et qui consiste à réduire la réalité que l’on combat à ses seuls aspects objectifs, c’est-à-dire à un ensemble de structures de production, d’accumulation, de répartition, de distribution des différents capitaux et d’abord du capital économique (et trop souvent du seul capital économique), qui imposent de l’extérieur leur logique objective de fonctionnement aux individus (…) dans cette optique objectiviste, l’ennemi à combattre est, par définition, tout entier exogène, extérieur à ceux qui le combattent, en face et autour d’eux (…) contre un adversaire de cette nature, la lutte prend très logiquement les formes politiques et syndicales que nous lui connaissons depuis maintenant des générations et qui conservent encore cet esprit un peu manichéen selon lequel, tout le mal venant de l’extérieur, on est soi-même irréprochable et il y aurait comme de l’autoflagéllation masochiste à examiner quelle part on prend personnellement au maintien de l’ordre établi ((Accardo, A., Le petit-bourgeois gentilhomme, op. cit., pp. 65-66)). »

On se prive ainsi de ce qui pour certains est le commencement du changement véritable :

« Le point de départ de l’élaboration critique est la conscience de ce qui est réellement, c’est-à-dire un « connais-toi toi-même » en tant que produit du processus qui s’est déroulé jusqu’ici et qui a laissé en toi-même une infinité de traces, reçues sans bénéfice d’inventaire. C’est un tel inventaire qu’il faut faire pour commencer ((Voir Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Cahiers 10, 11, 12 et 13, Paris, Gallimard, 1978, p. 176 cité dans E.W. Saïd, « L’orientalisme, l’Orient crée par l’Occident », Editions du Seuil, 1980, p.39)). »

Élaboration critique, « spirituelle », sans laquelle « même dans une société parfaitement égalitaire, l’angoisse et la révolte de chaque individu resteront fondamentalement intactes. Personne ne possèdera moins qu’un autre mais, en l’absence de moyens spirituels, chacun continuera de vouloir pour lui-même davantage et infiniment plus ((Arnsperger, Ch., Critique de l’existence capitaliste. Pour une éthique existentielle de l’économie, Les Editions du Cerfs, Paris, 2005, p.194)). »

Outre les fondements idéologiques du PTB, la structure pensante du parti répond dans son asservissement à l’ordre idéologique consensuel, qu’impose la logique électorale : la réflexion s’arrête devant la nécessité pratique. Et ces réels et potentiels électeurs étant eux-mêmes embourbés dans ces nécessités (produire, travailler, consommer… fuir la réalité existentielle), le parti ne peut prendre le luxe d’une pédagogie subversive qui, si elle avait quelques effets sur certains, les aliénerait de tous les autres…

Dans ce cadre, même si le PTB encourage de développer des transports en commun, de recourir à des modes de transport moins polluants, de « préserver la terre pour les générations futures ((Ajoutant « Que les plus gros pollueurs supportent les charges les plus lourdes »… voir http://www.stopaucirquepolitique.be/fileadmin/users/nationaal/download/2010/05/programme2010.pdf)) »… il reste coincé dans une logique technophile et manichéenne. On se demande avec eux comment résoudre le problème : l’œuf ou la poule, dans nos propos : l’individu ou le social… rarement question des deux ensemble. Car comme nous l’avons soutenu ci-dessus, nous pensons que ce mouvement politique prive l’individu d’une de ses dimensions. S’attaquant au pouvoir, la pensée du PTB laisse intacte la sacro-sainte liberté individuelle, et ne froisse pas le paradigme orthodoxe d’un sujet perçu comme autarcique. Ce qui explique que le PTB ne remet pas ou peu en question la société de consommation, la bagnole, la pub, les déplacements individuels inutiles… en gros tout le sens de nos vies capitalistes. Ce fourvoiement porte cependant en lui l’échec du parti… ou en tout cas l’échec d’un autre monde. La puissance du pouvoir, outre son caractère objectif, est incrustée dans l’esprit individuel. Intervenir sur la dimension collective uniquement vide le combat d’une de ses dimensions fondamentales, et nie la dialectique entre l’individu et le social, où le premier, endoctriné par un pouvoir qui lui a fait penser utiles une somme de choses qui ne l’étaient pas, n’en reste pas moins, en l’état actuel, demandeur de ces choses inutiles… le PTB ne relève pas la dimension non-utilitaire de la consommation qui a pour fin de se distinguer des autres, par la prodigalité ostentatoire… pratique éminemment capitaliste ! Nous optons au contraire pour le paradigme « bidimensionnel » qui décrit l’individu comme « un phénomène second aux deux autres éléments indissociables et irréductibles l’un à l’autre que sont la psyché, d’un côté, la société de l’autre ((Castoriadis, C., « Psychanalyse et société », op. cit., p.11)). »

Discipliné aux mystifications occidentales, elles-mêmes indispensables au mythe capitaliste, le PTB n’encourage pas à voir le monde autrement, dans un « autrement globalisé ». Focalisé sur la répartition des fruits d’une croissance maintenue identique, il s’aliène des instruments pratiques et théoriques qui permettraient véritablement une cohabitation harmonieuse de tous. « L’obsession de la croissance (à laquelle se réduit le discours économique – en dépit de ses appels à la régulation des marchés ou à la « bonne gouvernance ») ne peut conduire qu’au désastre collectif, en accroissant les inégalités et en détruisant les écosystèmes ((Rist, G., Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Presses de la fondation nationale des Sciences Politiques, 2007, p.452, souligné par moi-même)). »

Il reste aux laudateurs du PTB à s’infléchir et débuter, comme l’a si bien décrit Bourdieu, une socioanalyse…

A.P


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