Environnement et social : deux versants d’un même changement

Que serait une « stratégie économique alternative ». Faut-il d’ailleurs proposer un autre modèle ? La nécessité n’est-elle pas dans le questionnement du modèle actuel qui générera la naissance de toute autre chose, un « tout autre chose » dont on dessine les fondations dans la négation du système actuel ; dans un « Grand Refus ((Marcuse, H., L’homme unidimensionnel, Editions de Minuit, Paris, 1968, p. 312)) ». La nécessité du changement est d’une actualité brûlante, à l’heure où l’on se questionne sur la sauvegarde de l’espèce humaine – et non pas de la planète comme on nous présente erronément – et sur la réduction – ou éradication… le choix des termes a son importance – de la misère.

La lecture actuelle des différents mouvements qui se disent porteurs de changement persiste à ne se focaliser que sur l’un des deux éléments qui forment l’individu : le social et la nature : « le social reste l’impensé de l’écologie. Le social c’est-à-dire les rapports de pouvoir et de richesses au sein des sociétés. Mais l’écologie est symétriquement l’impensée de la gauche. La gauche, c’est-à-dire ceux pour qui la question sociale – la justice – reste première ((Kempf, H., Comment les riches détruisent la planète, Editions du Seuil, 2007, p. 37)) ».

La persistance de cette division sert un système de pouvoir  qui, bien loin de vouloir changer les choses, se détermine à maintenir sa position sous les oripeaux d’une réforme que porte à merveille le « combat écologique », évidé de sa dimension politique. Cette division s’incrit en outre dans un système occidental qui détiendrait le monopole de la définition du bonheur. C’est principalement ces thèmes associés que je défendrai succinctement.

Pourquoi il ne faut pas traiter le social seul

La crise actuelle déploie impitoyablement son cortège de chômage et de misère. Pauvreté et dénuement ne sont toutefois pas des apparitions récentes mais le quotidien des pays non-occidentaux, autant qu’elles sont structurelles au Nord. La crainte nouvelle est de voir se disloquer les sociétés sous le poids trop fort de l’inemploi et une subséquente diminution de la croissance sur laquelle repose tout le système capitaliste. Suivant cette logique, ceux qui luttent pour plus de justice sociale défendent l’emploi malgré tout : « touche pas à mon job » arborait comme slogan des travailleurs d’Opel Anvers manifestant contre la fermeture de « leur » usine. De l’autre côté, experts du GIEC et autres militants sonnent l’alarme : la pollution atmosphérique est à son comble, et il est déjà trop tard pour contrer les effets de ce qui a déjà été fait. Mais pas pour inverser la balance : diminuer drastiquement les transports polluants comme la voiture et l’avion est une obligation si l’on veut invertir la tendance ((La paralysie récente des avions due à l’irruption volcanique illustre parfaitement nos propos, qui voient dans notre système un totalitarisme socio-économico-idéologique qui nous a aliéné des capacités d’infléchissement)) ; « L’occident s’est drogué au transport motorisé : il représente 90% du déplacement de passagers. En France, de 1973 à 2004, le parc de voitures a plus que doublé, passant de 14,3 à 29,9 millions de véhicules, pour une croissance de 14% de la population ((« Pour se libérer de la voiture et de l’avion », L’Atlas du Monde Diplomatique)). Selon l’OMS, le transport motorisé serait un « drame sanitaire de premier plan » comptabilisant 3.000 morts par jour, dont 90% dans les pays pauvres ; il est exclusif et nocif socialement, en outre d’être responsable de 21% des émissions globales de CO2 ((Ibid.)).

On se bat donc d’un côté, pour assurer en définitive la pérennité d’un mode de vie polluant de l’autre : « les travailleurs et leurs organisations, c’est-à-dire le « travail marchandise », ne sont co-responsables de ce pillage et de cette destruction que dans la mesure où ils défendent l’emploi à tout prix dans le contexte existant et combattent dans ce but tout ce qui diminue dans l’immédiat la croissance économique et la rentabilité financière des investissements ((Gorz, A., Ecologica, Editions Galilée, Paris, 2008 , p. 138)) ». On choisit la lutte pour un emploi qui élude également la question de sa valeur, de l’enrichissement qualitatif qu’il confère, du sens qu’il a encore dans une vie. Certes, il offrira un certain pouvoir d’achat qui ajouté à un certain endettement permettront d’acheter des biens de consommation provisoires, comme une voiture qui permettra de se rendre en travail en voiture, et accessoirement de réaliser quelques city-trips en avion, qui nous feront vite dépasser une empreinte écologique soutenable.

Le social sans l’écologique confirmera ainsi un cycle de croissance surproduction/surconsommation rendu possible par l’exploitation de la force de travail et des ressources planétaires ; le social sans l’écologique sera en toute logique destructeur pour l’environnement, et donc en définitive et à plus ou moins court terme pour l’homme, mais il aura dans une chaîne causale peu perceptible des effets contraires à ce qu’il voulait combattre. C’est-à-dire qu’au lieu de défendre l’homme il concourra à son hétéronomie en occultant l’exploitation inhérente au travail rémunéré dans un système capitaliste, et en dégradant l’environnement indispensable à son espèce.

Pourquoi il ne faut pas traiter l’écologique sans le social

Vague pour le climat, développement durable, journée des gros pulls… pléthore de mesures fleurissent dans nos sociétés occidentales, toujours respectueuses de la sacro-sainte liberté individuelle et donc dépendant de la bonne volonté. Unifier tous les hommes dans un même combat pour la survie a ceci qu’il transcende les différences de classes, et donc les inégales responsabilités dans la dégradation de l’environnement. C’est essentiellement les classes nanties qui polluent (grandes habitations, déplacements fréquents, consommation plus importante…) ; mais c’est aussi eux qui pourront le mieux se protéger de cette dégradation environnementale dont ils sont les plus grands responsables : en achetant ‘Bio’, en vivant dans des lieux plus sains et plus verts, en construisant passif, en compensant leurs pollutions… et pourront faire face aux mesures gouvernementales qui se jouent de cette indistinction : la taxe carbone sur les émissions de CO2 ne modifiera que peu leur niveau de vie, là où elle risque de peser lourdement sur les autres personnes.

Certains événements hyper-médiatisés, comme le film Home, illustrent particulièrement cette réalité. La réalisation de Yann-Arthus Bertrand ((Voir http://www.home-2009.com)) dénote les contradictions inhérentes à la vague verte que nous connaissons actuellement : financé par le groupe PPR dirigé par François-Henri Pinault, comprenant la Fnac, Redcats Group (Daxon, La Redoute, The Golf Warehouse, Avenue, Brylane Home…), Conforama, CFAO (comprenant notamment CFAO Automotive, « acteur majeur de la distribution automobile en Afrique », et Eurapharma « n° 1 de la distribution de produits pharmaceutiques en Afrique et dans les collectivités d’outre-mer » ((Voir http://www.ppr.com/)), Puma, et Gucci Group (Yves Saint Laurent, Bottega Veneta, Gucci, Balenciaga, Boucheron, Sergio Rossi, Alexander McQueen…), Home cherche à nous conscientiser au travers « d’images inédites de plus de 50 pays vus du ciel ». Diffusé gratuitement sur l’ensemble du globe, sur tout les supports simultanément (DVD, Internet, Cinéma, Télévision) à coup de renforts publicitaires énormes, Home a touché des millions de personnes. Puissance de communication sans précédent.

Cette « instrumentalisation climatique » dénie profondément les réalités sociales, elle est une occultation des rapports de force fruit d’une certaine historicité, comme le dénote également la perspective d’accord au Sommet de Copenhague qui faisait fi des réalités historiques qui ont conduit à l’état actuel du monde et des rapports de domination qui persistent. L’atteinte d’un accord reposait sur l’espoir que l’Occident reconnaisse sa responsabilité historique, ce qui relève du domaine de l’impossible dans l’état actuel des choses.

Lorsqu’on lie écologique et social

Si l’on devait identifier les personnages auxquels profitent la misère et la destruction de l’environnement, nous aurions invariablement la même réponse : les plus nantis parmi les 20% qui consomment 80% de ce que la planète offre, à la recherche de la maximalisation des profits, débridée par un arsenal de mesures gouvernementales. Lier les deux dans un même combat revient donc à remettre en cause les richesses et la logique du profit. C’est donc à la fois s’attaquer à une plus juste répartition de la production, mais également à la logique du « toujours plus » qui parcoure indifféremment les différentes classes sociales. Déconstruction qui amène inévitablement  avec elle la remise en question du développement, car la notion occidentale même de progrès – qu’il soit agricole ou autre – contiendrait en elle-même cette dimension destructrice : « dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de la productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du Nord de l’Amérique par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du processus de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ((Citation de Marx dans le Capital, dans Gorz, Ibid., pp. 138-139, souligné par l’auteur)) ».

On pourrait croire toutefois que la minorité accaparante nourrisse de par sa simple et ostensible présence une révolution latente chez les moins nantis. Ce serait oublier l’uniformité du désir qui traverse les différentes classes ; dans sa course au profit, le riche veut être encore plus riche, et l’indigent ne plus l’être, reconnaissant chez ce dernier le même soubassement subjectif que chez le premier : « dans la plupart des sociétés stratifiées, on idéalise les positions supérieures et on aspire à passer des positions inférieures aux positions supérieures ((Goffman, E., La mise en scène de la vie quotidienne : la présentation de soi, les éditions de Minuit, Paris, 1973, p. 41)) ». Dans ce contexte, « une complicité structurelle lie le travailleur et le capital : pour l’un et pour l’autre, le but déterminant est de « gagner de l’argent », le plus d’argent possible ((Gorz, A., Ecologica, op. cit., p.115)) ». Et cet Homo-oeconomicus se voit confirmer dans son rôle par un processus de comparaison avec un Autre (du Sud, tiers monde, sous-développé…) en regard duquel, quel que soit sa position, il est au fond toujours privilégié.

Réalités qui limitent fortement la compréhension : « la capacité d’analyse critique est limitée, même chez ceux qui se targuent d’objectivité scientifique, par la peur instinctive et inavouée de remettre en question les intérêts généraux des pays industrialisés (…) intérêts qui se trouvent d’ailleurs être aussi des intérêts personnels, du fait que l’analyste se situe lui-même au sein de la société occidentale, privilégiée parce que historiquement dominante ((Partant, F., La fin du développement, naissance d’une alternative, Editions La Découverte, 1982, p. 20)) ».

Il y aurait donc, et c’est là une hypothèse, dans cette disjonction du social et de l’environnement, un ciment que serait le désir unidimensionnel, qui éluderait le conflit social, se plaçant en dehors de toute historicité, et profiterait donc au maintien du statu quo : « il faut comprendre que crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre. Et que ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes ((Kempf, H., op.cit., p. 37)) ».

La théorie économique entérinerait elle-même cette dimension puisque proclamant qu’elle sert l’allocation de ressources finies dans un contexte de besoins infinis. Quels besoins sont infinis naturellement ? Et s’ils l’étaient réellement, pourquoi les entreprises ont-elles eu recours à la propagande publicitaire pour susciter le besoin de consommer leurs produits ((Voir Bernays, E., Propaganda, Editions La Découverte, Paris, 2007))?

Et puisque le modèle occidental, avec ses dévastations sociales et environnementales, ne peut pas être repensé, le même désir de consommer doit structurer l’ensemble des relations humaines : « plus de 60% des Nigérians ont accès au téléphone portable, un exploit dans un pays grand comme trois fois la Californie, doté de routes en mauvais état, d’un service postal peu fiable et de deux lignes de téléphone pour mille habitants. Le prix du téléphone portable le moins cher permettrait à un Nigérian d’acheter douze kilos et demi de millet, c’est-à-dire de quoi nourrir une famille de cinq personnes pendant cinq jours. Le nombre d’abonnements a néanmoins explosé en Afrique, passant de 12 millions en 2000 à 376 millions en 2008 ((Boston Review, cité dans le Monde Diplomatique d’avril 2010)) ».

Joindre justice sociale et environnement dans une dynamique de changement, contient nécessairement un ferment subversif puisqu’il amène inévitablement à questionner les rapports de domination existants – et subséquemment celle de la structure oligopolistique des médias qui sont ceux-là mêmes qui nourrissent les espoirs, comme il en a été notamment lors du sommet de Copenhague ((Voir pour cette question un ouvrage essentiel : Chomsky, N. et Herman, E., La fabrication du consentement, de la propagande médiatique en démocratie, Editions Agone, 2008)). Mais cela concoure aussi à instiller le doute dans un consensus sur un mode de société imposé par l’Occident et, indubitablement, par-là même d’en venir à douter du développement, dès lors que ce que l’on pense maintenant comme plus tellement bénéfique pour soi-même, la société et l’environnement, ne l’est peut-être plus pour l’Autre…

A.P

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