« Copenhague » ou la croyance renouvellée

Porteur de grands espoirs, le sommet de Copenhague sur les changements climatiques cristallisait les rapports de forces dans lesquels se jouent les relations internationales. Promesses frileuses de l’Occident, demande du Sud d’une reconnaissance de la « responsabilité historique du Nord », recherche de l’avantage national par tous les moyens, dont la mise en doute du dérèglement climatique lui-même… Et si les perspectives d’échec de ce Sommet – et des prochains – qui fleurissent dans la presse occultaient une réalité gênante: le marché roi engendre l’échec prématuré de tout accord, et s’en étonner ne fait qu’attiser les (faux)-espoirs.

Le sommet des Nations unies sur le climat était censé déboucher sur un accord global. Dessein avoué: limiter le réchauffement à deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle. Rappelons que le protocole de Kyoto, attaché à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, a été ratifié par 175 pays et visait une réduction de minimum 5,12% des quantités de gaz à effet de serre émises par les pays industrialisés par rapport à 1990 ((Les Etats-Unis, pour mémoire, ont refusé de le signer)). Entré en vigueur en 2005 pour prendre fin en 2012, il n’atteindra pas ses objectifs: « les émissions mondiales de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines ont augmenté depuis l’époque préindustrielle; la hausse a été de 70 % entre 1970 et 2004 » ((Rapport de synthèse 2007 du GIEC sur les changements climatiques)). Le « Copenhague », à supposer un nouvel accord, couvrirait normalement la période 2013-2017.

Copenhague eut été considéré comme un succès si trois engagements majeurs y avaient été pris: tout d’abord une réduction des émissions de gaz à effet de serre de la part des pays industrialisés, d’ici à 2020. Dans ce cadre, l’Union européenne s’engage à une réduction de 20% par rapport à 1990. D’autre part, une contribution de 100 milliards d’euros aurait dû être octroyée par les pays riches aux pays dits en développement, ceci afin de leur permettre de mettre en place un modèle énergétique moins polluant, de lutter contre les impacts du changement climatique, et d’enrayer la déforestation et la dégradation des forêts. Enfin, en contrepartie, ces pays devaient de leur côté s’engager à réduire leurs émissions.

Comptabilité verte?

Mais de nombreux nuages viennent noircir l’horizon, et les perspectives de réussite de la rencontre internationale semblaient déjà compromises; beaucoup déjà n’y croyaient plus ((Voir par exemple Julie Chauveau « Changements climatiques: les mirages de Copenhague » (Les Echos du 29 septembre 2009) ou Martin Wolf « Why Copenhagen must be the end of the beginning » (Financial Times du 2 décembre 2009).)). D’après les calculs du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC), une réduction de 50% en 2050, par rapport à 1990, impliquerait un effort européen de l’ordre de 25 à 30%. Beaucoup plus, donc, que les 20% mis sur la table par l’Union européenne. Ajouter qu’il ne s’agit que d’engagements et que les mesures sont très peu contraignantes. Ajouter encore que, au Nord, les uns conditionnent leurs engagements à des engagements identiques chez leurs homologues et que, au Sud, les mesures envisagées sont conditionnées à la tenue des engagements des pays industrialisés.

Derrière les divergences d’intérêts et les parcours historiques différents qu’occulte la notion très idéologique de « communauté internationale », se pose la question des moyens d’atteindre un accord qui satisfasse tout le monde, sachant que les plus grands pollueurs sont parmi les pays occidentaux – 17 pays sont responsables de 80% des émissions de gaz à effet de serre, Chine, Etats-Unis et Europe en tête – , et que les pays du Sud ne risquent que d’accroître leurs émissions.

En outre, des considérations plus historiques et politiques ne pouvaient que miner le processus. Parmi celles-ci, des désaccords entre pays du Sud et du Nord, qui portent essentiellement sur le refus des derniers « d’assumer leur responsabilité historique vis-à-vis du réchauffement climatique ((Voir dans ce sens L’Humanité du 30 octobre 2009)) ». Les victimes du développement des uns ne voient pas bien pourquoi elles devraient faire des efforts comme si tous, devant le constat de l’ « ultimatum climatique ((Terme repris sur un site lançant un appel à la sensibilisation du gouvernement français, appuyé par diverses ONG. Voir http://www.copenhague-2009.com/)) », partaient d’une tabula rasa hypothétique et unilatéralement imposée, la précipitation ne justifiant pas l’amnésie historique.

Le fait qu’un habitant des Etats-Unis émet en moyenne 24 tonnes de CO2 par an, un Européen 10 tonnes, là où un Chinois n’en émet que 3 et un Indien moins de 2 donne une indication ((L’Humanité, 17 septembre 2009)) du fossé, qui nourrit l’argumentaire des pays du Sud pour refuser de faire des concessions en l’absence de contreparties occidentales. La Chine par exemple, bien que gros pollueur en tant que pays, n’est responsable que de 7% des émissions cumulées depuis le 18ème siècle. En outre, les pays du Sud, qui sont les premières victimes des effets délétères du mode de développement de leurs voisins du Nord, ne pourront faire face aux coûts directs des répercussions climatiques (fuite des migrants, chômage, catastrophe climatique…).

Le Sud est donc en quelque sorte pris entre le marteau et l’enclume, étant acculé au défi de juguler les effets climatiques présents et simultanément placé devant une demande de collaborer avec les responsables de ses problèmes afin d’éviter le chaos climatique. La Commission européenne estime à cent milliards d’euros « ce dont auraient besoin les pays en voie de développement pour financer chaque année la lutte contre le changement climatique à compter de 2020 » ((Les Echos, 10 septembre 2009)). Les pays pauvres refusent donc de s’engager sans connaître le soutien financier que les pays riches leur apporteront.

Climat: un marché… de dupes?

D’où proviendront par ailleurs ces aides européennes, dont on attend entre 2 et 15 milliards par an, en outre insuffisantes en regard des 35 milliards auxquels l’Europe devrait normalement contribuer, selon les experts? En premier lieu, d’aides publiques (de 20 à 50%).

Devant le peu d’entrain que la Commission européenne manifeste dans la remise en question de sa politique économique, que ce soit en matière de transports polluants (en croissance constante) ou de concurrence, on peut imaginer quels seront les réels contributeurs. Pas les entreprises les plus polluantes! Maintenant intact le dogme du libre-échange, la Commission européenne craint en effet que des entreprises de secteurs dits « sensibles » se délocalisent devant une pression environnementale croissante. Cette crainte l’a ainsi amené à exempter 164 secteurs industriels, parmi les plus polluants, aux efforts de lutte contre le changement climatique; ces entreprises recevront donc des droits à polluer supplémentaires gratuits. Reste donc le consommateur soumis à une nouvelle fiscalité verte, dont les plus pauvres au sein des pays occidentaux encaisseront les effets. A l’instar de la taxe carbone – à la tonne de gaz à effet de serre émise –, qui entrera en vigueur en France le 1er janvier 2010, d’autant plus âprement ressentie par ceux qui ne pourront investir dans les énergies vertes et les voitures moins polluantes. Outre cette forme de contribution des pays riches, une partie de l’effort financier sera demandée aux pays en développement eux-mêmes.

Une autre part de la contribution européenne découlera du « marché carbone ». A partir de 2013, les entreprises qui dépassent leur quota d’émission pourront en effet acheter des droits à polluer sur le marché financier. Paradoxe, puisque l’Europe financera en partie la réduction des émissions polluantes des pays pauvres en permettant aux entreprises occidentales les plus riches de polluer plus qu’autorisé. Pour certains, cette taxe carbone incitera en outre à la délocalisation vers les zones à bas coût de main-d’œuvre et libres de contraintes en matière de gaz à effet de serre. L’initiative en faveur des 164 secteurs industriels, dans un contexte où les entreprises délocalisent comme bon leur semble, permettra donc de favoriser encore plus celles qui restent au Nord, indirectement financées par l’argent des contribuables, tout en permettant à celles qui n’ont toujours pas assez d’aller voir ailleurs. Ce qui fait dire à Aurélien Bernier, militant altermondialiste français spécialiste de l’environnement et auteur de « Le climat, otage de la finance », « que tant que l’on ne touche pas au cœur de la logique qui est le libre-échange, on n’a aucune chance de résoudre la crise environnementale. » ((Interview d’Aurélien Bernier, parue dans le Solidaire du 15 octobre 2009)). Enfin, pour certains, ce nouveau marché des droits à polluer préfigure une nouvelle crise financière devant le risque de gonflement d’une « bulle verte ».

On continue donc à faire confiance au marché financier, lequel a précipité les crises actuelles. La libre circulation des capitaux propre au capitalisme néo-libéral pose aussi la question du mode de calcul des émissions de gaz à effet de serre. Le gaz doit-il être « national » pour être comptabilisé? Les voitures que Renault fabrique en Chine, les pneus Michelin au Brésil, ou encore les Volkswagen en Inde, sont-ils pris en compte dans la pollution émise par la maison mère, ici française, là allemande? De la méthode dépend en effet à la fois le calcul des efforts de réduction, qui appuieront les négociations, ainsi que la possibilité d’atteindre les engagements pris. Et à ce niveau, les dés sont pipés : « une part non négligeable des émissions de gaz à effet de serre des pays émergents est le produit des délocalisations industrielles » ((Frédéric Boccara, cité dans L’Humanité, 17 septembre 2009)), et « ce qui est actuellement incroyable, c’est que les négociations sur le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre portent sur ce qu’émettent les Etats avec leurs activités nationales » ((Interview de Bernier, A., op.cit.)).

Le fait que les productions extraterritoriales du Nord ne soient pas prises en compte relève d’une acceptation tacite – et de son imposition – du mode de consommation occidental ; la pollution engendrée à la fois par les exportations du Sud, que ce soit directement ou dans le fait qu’elles se substituent à d’autres (pensons aux biocarburants ou à la déforestation massive, comme en Amazonie, afin de planter du Soja qui nourrira le bétail que nous mangerons ou servira de combustible pour nos centrales), non rattachée à l’origine nationale des maisons mères et au lieu de consommation finale du produit est paradoxalement une forme de négation du caractère global du commerce, mais aussi d’une forme d’abstraction attachée aux multinationales, les entreprises étant à la fois partout et nulle part.

Chronique d’un échec programmé

Le silence des pays riches sur la destination des produits fabriqués dans les pays du Sud est un point que brandissait la Chine, et qui nourrissait l’impasse probable de Copenhague. Bien que ce pays soit maintenant un des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre, en raison du poids de sa population, la moitié de sa contribution à l’augmentation des émissions mondiales entre 2002 et 2007 n’est pas due à une consommation intérieure, mais à des exportations de biens manufacturés vers les pays riches.

Outre ces positions antagonistes sur les responsabilités et les engagements, d’aucuns contestaient la véracité d’un réchauffement climatique, ou en tout cas sa tendance exagérée, faisant pressentir un scepticisme léthargique états-unien: « On ne bougera pas tant qu’on n’est pas sûr ».

On voiyait ainsi les « scoops » affluer à la veille du sommet et les argumentaires les plus étriqués refaire surface, reflets d’un lobbying qu’on imagine des plus acharnés dans les arcanes du pouvoir, à l’instar de ce qui s’est sans doute passé pour la dérogation en faveur des 164 secteurs « sensibles ». On a pu lire ainsi dans le Financial Times, que des extraits de 3.000 emails en provenance du « Climate Research Unit » de l’université britannique de l’East Anglia, normalement confidentiels, avaient été rendus publics ((Financial Times, 28 novembre 2009)). Ces documents, qui concernent une poignée de scientifiques affiliés au GIEC, mettraient en évidence une sélection stratégique de l’information scientifique par un rejet de données hostiles à leurs hypothèses. Ce vacarme médiatique pré-sommet n’a rien d’anodin; il nourrit une suspicion déjà existante et profitable à ceux qui tentent d’infléchir le processus de la décision politique.

Outre que l’affaire dénote l’infiltration de pratiques dignes de think tanks dans les domaines scientifiques, ce que personne n’ignorait, elle met en évidence les brèches que partisans et détracteurs du changement climatique recherchent pour étayer leur argumentaire. On est toutefois plus habitués à ce genre de pratique chez les hérauts du marché débridé, comme le financement par Exxon de recherches contradictoires quant à la réalité du changement climatique l’avait mis en évidence. Ce même article cite McKitrick comme un des détracteurs du réchauffement climatique et de l’orientation du GIEC, les accusant de défendre une pensée de groupe. Le journaliste omet de préciser que McKitrick, professeur canadien d’économie spécialiste de l’environnement, est lui-même membre du Fraser Institute ((http://www.fraserinstitute.org, on trouve à côté du logo du think tank : « Un monde libre et prospère à travers le choix, les marchés et la responsabilité »)), un think tank qui prône la privatisation de l’enseignement, la réduction générale des taxes, une limitation de l’immigration défavorable à la croissance économique, un système d’assurance santé privatisé, etc. En matière de réchauffement climatique, le Fraser Institute exclut le principe de précaution et dénonce un risque de précipitation déraisonnable: « Tentant de faire pression sur les décisions politiques, certains groupes activistes risquent d’exagérer la certitude et les dommages liés aux impacts humains sur les changements climatiques futurs ((Voir http://www.fraserinstitute.org/aboutus/whatwethink.htm)). »

L’échec à Copenhague fournira-t-il le tremplin à une nouvelle mobilisation citoyenne en vue, cette fois, du prochain rendez-vous, au Mexique, en novembre 2010? Le problème est sans doute ailleurs: dans le consensus implicite sur un mode de société qui rend en réalité impossible tout accord! Une entente sur la nécessité de lutter contre le changement climatique, autant que pour une justice sociale et économique, n’implique-t-elle pas, en effet, « de remettre en question le dogme de la concurrence au profit d’une coopération internationale ((L’Humanité, 17 septembre 2009)) »?. Dans un monde régi par la concurrence de tous contre tous et où chacun tente de sortir son épingle du jeu, le consensus a-t-il sa place? Poser la question…

A.P


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