La merde d’un jour des médias occulte la merde… quotidienne

L’ « affaire de la lasagne » à la viande de cheval, que les médias cuisinent à toutes les sauces, a comme tous ces événements médiatiques qui surgissent inopinément, la caractéristique de faire croire que le cours des choses est normal et que seules quelques dérapages viennent ponctuellement noircir le tableau. Pourtant, si nous voulions parler de ce qui est dégeulasse et en rechercher les causes, les médias auraient nourriture quotidienne pour leurs articles. Mais, dans ce cas, ils seraient assurés de ne plus recevoir leur obole de ces mêmes faiseurs de crasse.

« Nous sommes ce que nous mangeons »… si cet aphorisme devait révéler une vérité, la chose est assez effrayante car elle indiquerait que nous allons progressivement vers une sorte d’humain réceptacle de toutes les scories au demeurant invendables qu’on nous refourgue sous des habits présentables, à l’instar d’un hamburger dans un fast food. La description suivante de la récupération industrielle de divers « déchets » dénote l’aberration complète de ce qu’est devenu l’alimentation de l’homme :

« L’abattoir de Booker a une autre corde a son arc. Sous le nom de North Texas Protein, la compagnie s’est spécialisée dans la « récupération ». Le rendering, comme on le nomme ici, est l’activité la plus discrète de l’industrie de la viande. Elle est pourtant bien nécessaire puisque, chaque jour, dans les 276 unités du pays semblables à celle de Booker, on « recycle » les carcasses animales qui, sinon, iraient polluer le pays. Le rendering comprend deux étapes majeures. D’abord les employés – souvent de la main-d’œuvre immigrée et précarisée – déversent les cadavres dans une énorme cuve, laquelle contient d’énormes mâchoires métalliques broyant le tout. Le mélange concassé est transféré dans une autre cuve, sous la responsabilité du « chef », dénomination qui ne relève d’aucune hiérarchie mais se réfère avec ironie au métier de cuisinier. Car son rôle est de rendre cette activité profitable, en supervisant la préparation d’une « soupe » franchement écoeurante. Après une heure de cuisson à 135 degrés, une épaisse masse jaune monte à la surface du mélange. Un suif précieux car, une fois récupéré, il va faire le bonheur de nombreuses industries. Plus particulièrement celle des cosmétiques, qui utilise cette graisse animale cuite dans les bâtons de rouge à lèvres, les déodorants et les savonnettes. Le reste de la mixture donne son nom à la branche de BPC, North Texas Protein. A nouveau passé au broyeur, le surplus liquide se voit séché puis transformé en poudre. Une poussière grise, concentrée en protéines, prête à venir « enrichir » la nourriture du bétail élevé à la chaîne.

Nous le savons depuis la crise de la vache folle, mais le constater ainsi soulève toujours le cœur. Cette « poussière grise » montre que l’industrie agroalimentaire est parvenue à transformer les bovins en espèce cannibale, qui se nourrit des restes cuits de ses semblables.

Mais il y pis encore.

La « soupe » ne contient pas uniquement des carcasses d’animaux d’abattoir. On y trouve aussi des litres de graisses issus de l’industrie du fast-food, provenant de restes de cuisson et d’huile de friture. La viande périmée des supermarchés termine également sa course dans cette mixture. Comme il faut faire vite et que les employés n’ont pas assez de bras, on la déverse dans la cuve sans même prendre le temps de la retirer des emballages et des barquettes en polystyrène expansé. Comme si cela n’y suffisait pas, on y jette aussi les sacs verts venant des centres vétérinaires et des fourrières. Leur contenu ? Quelques-uns des 6 à 7 millions de chats et chiens euthanasiés chaque année aux Etats-Unis.

Est-ce tout ? Eh non, car la « recette » est complété par le roadkill, les dépouilles de multiples espèces d’animaux écrasés ramassées en bordure de route !

Reste la dernière touche, l’assaisonnement final si je puis dire… un renvoi direct aux 83% de poules contaminées. En effet, depuis dix ans, le rendering inclut dans sa recette les plumes et matières fécales récupérées sur le sol des élevages en batterie. La formule fait, paraît-il, des miracles. Parce que la tonne de « protéines » ne coûte que 45 dollars lorsque la même quantité de Luzerne est trois fois plus chère. (…)

Oublions un instant cette éprouvante recette (…) pour nous concentrer sur un autre ingrédient de cette soupe aux protéines. Un « détail » qui n’en est pas un. Afin d’euthanasier les animaux, les vétérinaires leur injectent une solution concentrée de pentobarbital sodique, un produit qui ne disparaît pas après la cuisson de la « soupe ». Que devient-il ? En outre, la majorité des cadavres provenant des fourrières portent des colliers antipuces, antiparasitaires à base de dimpylate. Cet insecticide ne s’évapore pas non plus malgré la chaleur des cuves de BPC. Tout comme les traces d’hormones et d’antibiotiques détectées dans « l’engrais de poulet » et les intestins des porcs et de bœufs ((Reymond, W., Toxic, Editions flammarion, 2007, pp. 236-239)) ».

Une affaire de porcs

« Point d’inquiétude diront certains, cela a lieu aux Etats-Unis ». Mais c’est que, nourri de la religion de la maximalisation des profits, l’éleveur industriel de porcs nous arrive en Europe plein de rêves de profits et, dès lors, de contaminations. « Désormais, la première marche du podium américain ne lui suffit plus. Il rêve du monde. Et plus précisément de l’Europe. En 1999, Smithfield Food et ses méthodes de production ont envahi la Pologne. Avec des conséquences similaires. D’abord, la concentration d’élevages à bas prix a poussé à la faillite les porcheries locales. Puis les habitants vivant à proximité des centres de production ont fait la « connaissance » des lagons. En 2003, à Byszkowo, une fosse s’est même déversée dans le système d’eau potable. Résultat, le lac voisin est devenu marron et certains habitants ont développé des infections cutanées et oculaires ((voir le reportage « Pig Business« )) ». Et naturellement cette expansion géographique ne se contente pas de fournir la petite superette du coin, mais de coloniser l’ensemble des chaînes de distribution de viande. Le but du propriétaire de Smithfield « n’est pas de nourrir l’ancienne Europe de l’Est mais d’envahir, sous des dizaines de labels et de marques, le fort lucratif marché de l’Europe de l’Ouest » ((Ibid., pp.222-223. Voir le site de Smithfield : http://www.smithfieldfoods.com)).

Les enseignes que distribue Smithfield

Le simulacre à première vue absurde des Yes men devant des étudiants en économie ne l’est au fond pas tant que ça ((Dans leur premier film, The Yes Men, les protagonistes piègent un auditoire universitaire en économie en faisant la démonstration théorique d’un système de recyclage des matières fécales en nourriture, et présente cela comme une solution contre la faim dans les pays du « tiers-monde »)). Tout est à l’avenant. Le diktat du régime alimentaire et de l’image de soi, qui nourrit la représentation sociale de la femme-objet, a assuré à l’aspartame son succès, sans que les mises en garde des scientifiques avant sa mise sur le marché ne se voient suivies du principe de précaution ((Voir « Notre poison quotidien » de Marie-Dominique Robin)) ; les pizzas industrielles ne contiennent plus de fromage mais de l’huile de palme, des exhausteurs de goûts, et autres produits chimiques ; aux Etats-Unis, les écoliers mangent des hamburgers, des saucisses et des boulettes dans lesquels on ajoute une pâte rosâtre, « ce sont des bas morceaux de boeuf, mixés dans une centrifugeuse et assaisonnés d’ammoniaque (approuvé par le ministère) pour tuer toute bactérie « e.coli », qui seront ensuite mélangés dans du steak haché, sans que cela soit mentionné dans la composition du produit final »; les pesticides ont envahi nos assiettes, au plus grand bonheur des Monsanto et autres Cargill. Tous ces exemples disent une chose: les politiques ne sécurisent pas l’alimentation mais les profits de l’agrobusiness et de la grande distribution.

Mais, rassurons-nous, après les « lasagnes de cheval » tout rentrera dans la norme… enfin celle des industriels. Et même si on nous fait bouffer de la merde en même proportion que les américains, comme eux on risque de la trouver bonne. « Neuf américains sur dix estiment que leur alimentation est saine ». En effet, ils mangent « tout ce qui leur fait envie » ((Voir magazine Consumers Report. http://lci.tf1.fr/science/sante/2011-01/neuf-americains-sur-dix-pensent-manger-sainement-6211009.html))… c’est-à-dire ce que l’industrie avait envie qu’ils aient envie.

AP

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