France: révolte ou révolution?

Il est délicat et périlleux de s’énoncer sur une contestation sociale qu’à la fois on voudrait voir durer, mais que d’un autre on sait nécessairement temporaire. C’est ce second terme, sur le caractère transitoire de la révolte, qui rendra l’analyse proposée malaisée et qui génèrera incompréhensions ou invectives de certains participants d’un mouvement qui attend, plus que tout, de la solidarité. Alors pourquoi s’évertuer à désirer voir l’insurrection continuer tout en sachant pertinemment son évidente fugacité ? On a là au fond un peu le résultat curieux de ce mélange paradoxal qu’est dans un esprit le pessimisme de la raison avec l’optimisme de la volonté. Les français se lèvent après une colère qui était latente, face à un gouvernement vendu aux intérêts du marché et des puissants, arrogant, tenant d’un double discours qui l’avait jusque l’a mis à l’abri d’une contestation aussi vaste qu’hétéroclite.

Comme si, avant cette réforme, l’ordre des choses ne demandait pas une révolte. Que le « seul » fait de prolonger l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans rendait cet ordre inadmissible. L’était-il avant, admissible ? La lutte se cabre trop souvent sur un maintien de la situation actuelle ou un retour à l’état antérieur – dans le cas où la réforme est déjà passée –, rarement sur une remise en question de tout, un bouleversement de civilisation. L’homme oublie les combats qu’il a perdu, l’espace de temps séparant chacun de ceux-ci suscitant l’acceptation volontaire. « Lorsqu’ils revendiquent une pension à 75% du salaire net de référence pour une carrière complète à 60 ans, les opposants à la réforme des retraites oublient que la première pension nette représentait, pour une carrière complète, 84% du salaire net des salariés nés en 1930 et ayant pris leur retraite entre 1990 et 1995 ((Bernard Friot, « Retraites, un trésor impensé », Monde Diplomatique, septembre 2010)). »

Et ils en « oublient » d’autres, pris dans une quotidienneté aliénante, nourris par sonde cérébrale, en moyenne quatre heures chaque jour, par des médias poubelles vendus à l’ordre qu’ils veulent voir se perpétuer ainsi. La véritable révolution passera par une forme de socio-analyse, qu’une crise pourra susciter chez certains, mais qui ne sera pas suffisante pour la majorité. Les luttes salariales sont nécessaires mais insuffisantes, elles ne s’inscrivent pas dans un autre modèle mais bien dans ce que nous connaissons. Tant que le travail n’est pas attaqué en lui-même, en tant que producteur de valeur économique, les changements ne seront que superficiels.

L’addiction au pétrole illustre parfaitement la situation. Combien de temps ceux-là mêmes qui perturbent le processus habituel qui conduit au remplissage des réservoirs des bagnoles résisteront aux conséquences mêmes de leurs actes ? Quand accepterons-nous que « l’utilisation de hauts quanta d’énergie a des effets aussi destructeurs pour la structure sociale que pour le milieu physique ((Illich, Y., Energie et équité, in Œuvres Complètes, vol.1, Fayard, Paris, 2009, p.383)). » Il faudra, pour qu’une révolution véritable s’amorce – et, dans une société mondialisée, elle ne pourra qu’être mondiale, même si ses germes seront sans doute localisés – que l’homme ait préparé son autonomie et se soit libéré des chaînes qui l’enserrent, et, pour beaucoup d’entre elles, qu’il ne perçoit même pas…

Dans l’état actuel des choses, une révolution ne peut avoir lieu ; les consciences sont trop immatures ; nous sommes trop occupés à travailler ; consommer ; fuir. Nos actions subversives risquent de se retourner contre nous. Mais toutefois, les combats actuels sont utiles, peuvent apporter une pierre à l’édifice révolutionnaire, mais « une » pierre. Ramassons les autres…

A.P

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